"Corey Hart m'a fait sentir que j'étais capable de créer"

Nous pénétrons cet entrepôt désaffecté du Vieux-Montréal, reconverti en rampe de lancement... des disque. On allume, referme les spots, on scande des check! check! testing! dans le micros. Ça se grouille là-dedans!

Détrompez-vous, il n'y aura pas de rave party. Juste un lancement... considérable, avait-on promis. C'était jeudi.

Au milieu de la salle, la fille la plus fraiche en ville observe les lieux. Toujours souriante, toujours radieuse, "belle enfant du Bon Dieu", pour reprendre l'image d'un camarade syndiqué.

Rien de neuf sous le soleil, magnifique Julie Masse?

sous ces apparences de santé, derrière cette bonhomie, cette cordialité et ce sourire radieux, dans le for intérieur de cette petite fille modèle, se sont tramées des choses insoupçonnées.

En témoignent ce premier album en anglais (Circle of One), la maîtrise d'une nouvelle langue, la perspective d'un immense marché à conquérir, l'influence déterminante d'un nouveau réalisateur... et plus encore.

Lors du Gala des Junos canadiens, version 1993, l'irrésistible Julie présentait un trophée au groupe de l'année (les Barenaked Ladies); elle avait alors déchiré l'enveloppe avec un certain Corey Hart, pop star montréalaise d'une époque révolue.

Le même soir, contre toute attente, la blondinette remportait un prestigieux Juno, catégorie most promising female artist, soit l'équivalent de notre Félix de la découverte féminine de l'année, Julie en fut la première surprise. N'en demeure pas moins que l'idée d'un album chanté en anglais allait bourgeonner rapidement dans cette jolie caboche, et dans celle de son manager, Serge Brouillette.

"On ne savait pas quand on le ferait, se rappelle Julie. Je voulais être plus à l'aise avec la langue. Pendant deux mois, j'ai donc suivi des cours privés, quatre jours par semaine, cinq heures par jour, le tout se terminant par une immersion à Toronto." Et Julie se retrouva fin prête.

Avec Corey Hart

En février dernier, Corey Hart était convoqué par l'entourage de Julie Masse. Inactif depuis quelques années, il n'avait pour mandat que la confection et la production de deux chansons. Il a fait tout l'album, et plus encore...

"Le gars que j'ai connu aux Junos il y a un an et demi, n'est plus le même. en studio, il était tellement ouvert, parlait à tout le monde, savait exactement ce qu'il voulait", glisse Julie, un éclat supplémentaire dans le regard. Elle non plus, force est de constater, n'est plus tout à fait la même qu'il y a un an et demi...

"^Ca a super bien cliqué", renchérit-elle, bien qu'esquivant, autant que possible toute piste potineuse sur laquelle on aurait pu la lancer. On avait, d'ailleurs, averti le scribe de ne pas embarquer la starlette dans ses histoires de coeur.

Mais ces yeux qui s'illuminent, cette vois qui s'étouffe en riant lorsqu'elle laisse savoir "que tout le monde couchait dans le même chalet près du studio de Morin Heights, mais évidemment, pas tous ensemble"... Comment rester totalement indifférent à tout ce gossip? Comment ne pas en rire, au fait?

"Corey est allé chercher au fond de moi des goûts, des perceptions. Il m'a fait découvrir les éraillements de ma voix, il m'a impliquée à tous les niveaux de la production. Il m'a fait sentir que j'étais capable de créer."

Pour faire éclore Circle of One, Hart a convoqué la fine fleur des studios ameloques, comme le batteur Kenny Aronoff (le fameux dunamo de John Mallencamp), la bassiste Darryl Jones (Miles Davis, Sting, Rolling Stones), le claviériste Greg Phillinganes, le batteur Manu Katché (Peter Gabriel, Stéphan Eicher, etc.) et autres pointures. D'autres chansons ont été réalisées par le claviériste Michel Corriveau.

Ensemble...

Via Circle of One, Julie fait état de son évolution musicale. Moins sucrée, cette pop, faut-il observer. Enfin...

"Je voulais un son plus acoustique, je ne voulais pas un disque fait à l'avance avec des machines. Je voulais un disque qui ressemble à ce que je suis maintenant. L'idée, reprend-elle, c'était aussi d'enregistrer live. Tout le monde ensemble, on faisait la chanson. Après, on reprenait la voix si certains trucs nous irritaient."

"Je voulais un disque avec plus de profondeur. Dans la chanson Circle of One, par exemple, il y a une forte idée de tolérance. Dans Love Is All I'm Looking For, il y a quelqu'un qui s'affirme. Même chose dans Devious Nature qui remet en question les stéréotypes masculins et féminins..."

Et Julie tient à préciser qu'elle n'a pas été simple exécutante pendant ces six semaines d'enregistrement. "Je voulais être là d'un bout à l'autre. J'étais vraiment là. Je ne voulais plus revire l'expérience d'enregisrter mes tracks de vois après que tout eut été fait. C'est peut-être un trip de vedette, mais c'est mon disque, merde!"

Six semaines de paradis laurentien, doit-on déduire?
"La vue était superbe à Morin Heights, s'exclame-t-elle. Par la fenêtre du studio, je voyais le lac et la montagne; devant moi, les misiciens et de l'autre côté, la console et Corey... Le soir, on réécoutait nos bandes au salon, on commentait..."

Open up your heart / Let love shine / Don't let the sun go down... dou bi dou bi dou...
Et voilà Circle of One.

La plus tout

Une nouvelle Julie, donc. cette période de mutation risque-t-elle de modifier un tant soit peu l'image parfaite de la chanteuse? Peu probable. Jusqu'à nouvel ordre, la chanteuse de 24 ans est le personnage féminin qui séduit le plus les Québécois. Paru récemment dans le périodique 7 jours, un sondage Léger & Léger nous le confirmait. À la question "À quelle vedette féminine aimeriez-vous ressembler?", les francophones du Québec ont choisi Julie Masse à 44.1 p. cent, devant Demi Moore (17.1 p. cent), Mitsou (8.2 p. cent) et Cindy Crawford (7.1). À l'item "les plus belles femmes qu Québec", Julie Masse remportait la palme avec un score de 14.8 p. cent, devant Marina Orsini (7.8 p. cent)... "La vedette la plus séduisante?" Julie était en tête de file avec un score de 32.5 p. cent. Qui dit mieux?

Modèle ou pas, le jeune femme ne se love plus dans cette bulle rassurante, univers douillet serti de valeurs saines... et souvent simplistes. "J'ai envie de connaître plein de choses, confie-t-elle. Je prends toutes sortes de cours, j'apprends le racket-ball, la moto, le tennis, la plongée sous-marine. Je lis tout sur ce qui se passe dans le monde, je lis sur l'histoire des guerres, je veux être au courant."

"Je viens d'une belle famille, unie. J'étais bien dans ma bulle, mais j'ai décidé d'en sortir, de prendre des risques dans la vie."

Un peu moins capitonné, le monde de Julie Masse...

La Presse, 15 octobre 1994