Les confessions de Julie Masse

Moi aussi, j'ai droit à l'erreur

Pas de sa faute si elle est belle, la Julie aux yeux bleus. Pourtant, il y aura toujours des envieux dans la salle. Faut vivre avec. Mais qui se cache derrière cette jolie frimousse? Une femme qui, depuis deux ans, a grandi au rythme des joies et des peines. Vrai qu'elle est belle. Vrai qu'elle est talentueuse. Et qui a dit que les blondes n'avaient rien à dire? Nous avons affaire à une jeune femme intelligente qui s'est penchée sur elle-même. Elle a gagné en maturité. À preuve, ce nouvel album qui témoigne de l'évolution personnelle et artistique d'une fem me de 24 ans.

En octobre, Julie lançait son premier disque anglophone, Circle of One. Réaction spontanée à travers le Canada: en moins d'un mois, elle ajoutait un disque d'or à sa collection. Au fil des 10 chansons, l'interprète aborde des thèmes auxquels elle n'aurait pu toucher sur ses deux albums précédents. Peut-être par pudeur? «Oui, en partie. Mais aussi parce que j'ai pris du recul face à certaines choses et que je suis maintenant capable de les exprimer. Ça n'aurait pas été possible avant.» Julie fait le point.

LE RESPECT DE LA VIE PRIVÉE

Le lancement de Circle of One fut l'un des gros événements artistiques de l'année. Comment as-tu vécu cette journée?
C'était effectivement énorme: il y avait 1 300 invités. J'ai donné ma première entrevue à 9h et ç'a été un feu roulant jusqu'en soirée. C'était à la fois excitant et frustrant. J'étais heureuse de revoir beaucoup de gens que je n'avais pas vus depuis longtemps, mais j'étais tellement sollicitée que je n'ai pu leur parler comme je l'aurais voulu.

Quelle est la première chose que tu as faite à la fin de la soirée?
Je suis allée me coucher. (Rires) J'étais complètement exténuée et il fallait que je sois debout le lendemain à 5h. Je n'ai pu finir la soirée avec mon imprésario (Serge Brouillette) et les proches collaborateurs. Je suis rentrée chez moi et j'étais encore survoltée. J'ai pris un bon bain en repensant à la journée, puis j'ai fait dodo.

Comment qualifierais-tu l'attitude des journalistes à ton égard cette journée-là?
Ils ont été très respectueux. La journée s'est très bien passée, parce que les journalistes savent que je ne parle pas de ma vie privée. C'est ma ligne de conduite depuis le début de ma carrière. Bien sûr, ils ont posé des questions, mais ils savaient bien que je ne dirais rien. C'est normal de vouloir savoir, c'est leur travail.

Il s'est pourtant écrit plein de choses avant, pendant et après la sortie du disque. N'en veux-tu pas aux médias?
Vraiment pas, même si tout ce qui s'est dit au sujet de ma vie privée s'est toujours fait à mon insu. Je pense à la mort de mon père ou à mon mariage, par exemple. Je suis un fille très privée. Ce qui se passe dans mon coeur, je le partage avec des personnes très proches et ça finit là. Ma meilleure amie, c'est Geneviève, ma cousine, avec qui j'ai grandi. Peu importe ce qui arrive, nous pouvons compter l'une sur l'autre. Je me confie aussi à ma famille. Mais je sais que le public aimerait tout savoir et je comprends ça. En contrepartie, je reçois beaucoup de témoignages de fans qui disent respecter ma vie privée. Je sens que les gens sont de mon côté. Bien sûr, ils sont curieux et aimeraient en savoir davantage, c'est humain.

En devenant très populaire, as-tu développé une certaine méfiance à l'égard des gens?
Oui. Je me révèle peu. De toute façon, je n'ai jamais été une fille qui sort beaucoup. J'aime bien rester chez moi et recevoir des amis à souper. Je me couche tôt, me lève tôt et suis peut-être davantage à l'abri des ragots qu'une artiste ayant une vie sociale plus active.

UNE RENCONTRE DÉTERMINANTE

Corey Hart réalise l'album. Dans quelle mesure vous connaissiez-vous avant de travailler ensemble?
Il avait entendu C'est zéro, mais c'est à peu près tout ce qu'il connaissait de moi. Il ne savait pas vraiment qui j'étais. À la suite de notre rencontre aux Junos en 1993, il a pris le temps d'écouter mes chansons, puis nous avons ou un premier rendez-vous. Il est reparti en disant: "Je vais voir si je suis inspiré. Si oui, tant mieux, sinon, désolé." Il est revenu avec deux merveilleuses chansons: One More Moment et Love Is What I'm Looking For.

Entre vous deux, ç'a cliqué?
Oui. Nous avons passé quatre jours à Toronto pour enregistrer ces deux titres et avons ou l'occasion de nous parler davantage. Je lui ai conté comment j'avais grandi et lui ai parlé de ma famille. À un moment donné, il m'a demandé quel genre de relation j'avais avec mon père. Il ne savait pas qu'il était décédé. Je lui ai expliqué dans quelles circonstances son décès était survenu. Ça l'a beaucoup touché. Nous nous sommes quittés là-dessus, sans autres projets.

Et pourtant, il y a eu des suites.
De retour à Montréal, il a tout de suite trouvé l'inspiration. Trois semaines plus tard, il m'a rappelée en me disant qu'il avait composé trois nouvelles chansons, dont une pour mon père. J'étais très étonnée et me suis rendue chez lui avec Serge (Brouillette). Il a joué au piano I WIll Be There, et je me suis mise à pleurer. C'était très émouvant... les paroles sont tellement belles. C'était superbe!

C'est alors que vous avez décidé de collaborer davantage?
Oui. Tout s'est fait de fil en aiguille. Je lui ai dit que j'aimerais beaucoup enregistrer cette chanson et Corey est allé faire une maquette à New York pour revenir avec une version instrumentale. J'étais tellement énervée! Je savais précisément qu'il arrivait le dimanche et il m'avait dit: «Tu pourras prendre la cassette à 9h à telle adresse.» Je te jure que, ce matin-là, ça faisait longtemps que j'étais debout! (Rires) J'ai écouté cette cassette je ne sais combien de fois... c'était tellement beau!

As-tu voulu partager cet instant avec d'autres?
Quand je suis en studio, je ne fais rien écouter à qui que ce soit jusqu'à ce que tout soit prêt. Même pas à ma famille. Mais cette fois-là, j'étais tellement émue et heureuse que la première chose que j'ai faite a été de prendre l'autoroute et d'aller chez mon frère, sur la Rive-Sud. Il était dans le hangar en train de travailler avec sa petite fille et sa femme. Mon frère est mon plus grand critique. C'est la première personne que je vais voir quand je termine un enregistrement. Il a écouté la cassette et avait les larmes aux yeux. Il m'a simplement dit: «Ça va être écoeurant!»

JEUNE FILLE HIER, FEMME AUJOURD'HUI

Aurais-tu été capable d'interpréter une telle chanson auparavant?
Non. Quand je préparais mon deuxième album, À contre-jour, beaucoup de gens venaient me voir on me demandant si j'allais faire une chanson pour mon père. Mais c'était beaucoup trop tôt; au point de vue émotif, c'était impossible. Je m'imaginais sur scène en train d'interpréter cette chanson et je ne voulais pas revivre ça d'un soir à l'autre. Il faut prendre le faire le deuil avant de pouvoir en parler.

Qu'est-ce que tu chantes sur cet album que tu n'avais jamais osé exprimer?
Ma sensualité, entre autres, comme je le fais dans Ice Cream. J'ai envie de m'affirmer telle que je suis. Je suis romantique et sensuelle, probablement comme toutes les femmes. Love Is All I'm Looking For et Devious Nature sont aussi des chansons qui en disent beaucoup: elles ont un caractère féministe et traitent du rôle des hommes et des femmes dans la société. Circle of One parle de tolérance. Sur chacun des titres, je me retrouve et me sens à l'aise plus que jamais.

Qu'est-ce qui fait que tu peux aujourd'hui aborder ces thèmes?
Hum... Je ne sais pas précisément. Définitivement, je sens que j'ai évolué. J'ai simplement le goût d'être une femme et non plus une petite fille. Je veux m'affirmer. Ce qui a déclenché tout ça? C'est plus ou moins clair... Je m'intéresse à davantage de choses. Quand je lis les journaux, je veux savoir ce qui se passe autour de moi. J'ai le goût de m'ouvrir.

Certaines expériences personnelles ont-elles contribué à ce cheminement?
C'est sûr que sur le plan personnel j'ai gagné en maturité, parce que j'ai vécu des épreuves. Je pense à mon père et à ma séparation: ces choses de la vie m'ont fait grandir. De tels événements font on sorte que je me suis regardée. Je me suis posé des questions sur ce que je vivais, sur ce qui se passait dans mon coeur. J'ai sans doute évolué à travers tout ça au cours de la dernière année. Le showbiz nous fait grandir aussi, parce qu'on se fait poser des questions sur soi ou ce qu'on pense, ce qu'on ressent. Alors, on se retrouve constamment en train de s'analyser.

Ces deux dernières années ont-elles été bonnes pour toi?
Dans un certain sens, oui. J'ai vécu de belles choses. À contre-jour s'est vendu à plus de 125 000 exemplaires. Sur le plan de la carrière, ç'a très bien été. Sur le plan personnel... écoute: j'ai toujours eu une très belle relation avec Sylvain. Je ne reviendrai jamais là-dessus. Même quand nous nous sommes laissés, ça s'est bien passé. Ça n'a pas été la guerre. Nous nous parlons encore. Cependant, nous nous rendons parfois compte que les choix que nous faisons ne sont pas nécessairement les meilleurs pour nous et pour l'autre. Il faut être capable de dire qu'on s'est trompé. Je pense que ça prend beaucoup de courage.

C'est vrai, d'autant plus que tu es une artiste connue.
Ça entre nécessairement en ligne de compte, et pas seulement pour ma petite personne. Quand je me suis rendu compte que ça n'allait plus entre Sylvain et moi, j'ai passé six mois à me remettre en question. Je me disais: «Qu'est-ce que les gens vont penser? Ça va être l'enfer! Partout où je vais aller, on ne va me parler que de ça!» J'ai pensé à l'impact que ç'aurait autour de moi. Je me suis beaucoup souciée des répercussions que cette décision aurait sur Sylvain, nos familles, bref, tous les gens concernes par le geste que je voulais poser.

LE DROIT À L'ERREUR

Aujourd'hui, comment te sens-tu face à ta décision?
Je suis très heureuse. Je me sens très bien, sauf que ça prend la volonté de le faire. Maintenant, je suis en paix avec ma décision. Avouer qu'on s'est trompé, ce n'est pas facile. Dans mon cas, ce n'est pas seulement vis-à-vis de Sylvain ou de nos familles, c'est vis-à-vis du Québec tout entier.

Cette expérience t'a-t-elle appris à te donner droit à l'erreur?
Oui. Quand on évolue dans le milieu artistique, on souhaite que tout soit parfait. On veut donner le meilleur exemple, faire le meilleur show ou le meilleur album. Mais à un moment donné, il faut être capable de dire qu'on n'est pas parfait. En spectacle, je sais que j'ai des lacunes. Je n'ai pas l'aisance d'un Jim Corcoran. J'aimerais faire un spectacle comme lui, sauf que je n'ai pas encore sa facilité. Pour moi, avouer, puis accepter, ce n'est pas évident, parce que j'aimerais donner le spectacle que tout le monde espère.

Est-ce que les critiques de tes spectacles t'ont fait mal?
Oui, dans une certaine mesure, puisqu'on s'entoure des meilleures personnes et on donne le meilleur de soi-même. Le lendemain, dans le journal, on se rend compte que le spectacle n'a pas été perçu tel qu'on espérait. C'est décevant! Pourtant, dans le fond, on sait qu'ils ont raison. Il faut accepter de ne pas être toujours capable de livrer ce qu'on voudrait donner. Ça m'a pris une bonne dose d'humilité pour accepter que tout ne pouvait être parfait.

Lorsque tu t'en es rendu compte, as-tu eu tendance à te replier sur toi-même et à ne plus vouloir rien faire?
De deux choses l'une: soit on perd confiance, soit on se donne un coup de pied en se disant que, finalement, ça vient avec l'expérience. À ma première tournée, les critiques étaient plutôt froides. À la deuxième, c'était nettement mieux. À la troisième, je suis sûre que ce sera encore meilleur. C'est une arme à deux tranchants: on s'assoit ou on combat.

As-tu hâte de chanter devant le public?
Oui, mais chanter devant un public représente un gros défi, parce que je suis consciente que c'est peut-être ma plus grosse lacune; c'est ce qui me fait le plus peur. J'adore chanter, ce n'est pas le problème. C'est entre les chansons que je suis moins à l'aise. (Rires) J'aimerais amener sur scène l'aisance que j'ai lorsque je converse avec quelqu'un. Je faisais allusion à Corcoran tout à l'heure: il raconte des choses toutes simples mais tellement drôles. Il est naturel et j'aimerais que ça soit aussi facile dans mon cas.

Selon toi, à quoi cet embarras est-il attribuable?
Je ne sais pas d'où ça vient. Quand j'ai commencé à chanter, je voulais être choriste, justement pour ne pas avoir à présenter les chansons. Je souhaiterais toutefois que cette aisance me vienne tout naturellement et j'aimerais être capable d'improviser. Déjà, lors de mon deuxième spectacle, j'étais beaucoup plus confiante. Je n'ai que 24 ans! Je n'ai pas fini d'apprendre et j'ai toute la vie devant moi...

LE BILAN

N'aurais-tu pas le goût de faire le point sur ta vie privée? Ça ferait peut-être taire les rumeurs?
Peu importe que je sois avec Corey ou pas. Si je m'étais séparée et m'étais retrouvée seule, je n'aurais pas voulu en parler par respect pour Sylvain et la famille. Je me suis mise à sa place: il va au dépanneur et les gens disent: «Ah! c'est lui!» Il n'a pas à subir les conséquences de ma vie publique. Sylvain est une bonne personne et je ne veux pas faire de mal à qui que ce soit avec mes décisions. Mais je suppose que j'en fais quand même... J'essaie de minimiser les répercussions autant que possible.

Combien de temps avez-vous été ensemble?
Depuis que les gens me connaissent, soit depuis cinq ans. Je n'ai jamais voulu dire que nous formions un couple. Tout juste avant mon mariage, les gens me demandaient encore si c'était vrai que je sortais avec lui. Je n'en parlais pas, simplement. À savoir si je suis avec Corey... En n'infirmant pas, les gens présument que c'est une confirmation.

Pourquoi faire cette petite nuance?
Pour ne pas ouvrir la porte. Sitôt qu'on l'ouvre, on veut tout savoir et je n'ai pas le goût d'en parler. Je préfère laisser les choses aller et, tranquillement, les gens acceptent que je divorce, que je suis avec quelqu'un d'autre et que dans mon coeur, je suis heureuse! Ç'a été une décision difficile, mais elle m'a permis d'avancer.

Vu de l'extérieur, on croyait que Sylvain et toi formiez un couple sans nuage.
Je me disais que j'avais tout pour être heureuse, mais je savais que quelque chose clochait. J'ai fait mon cheminement et j'en suis arrivée à cette décision. C'est dur pour moi et pour l'autre. Nous sommes séparés et Sylvain doit accepter tranquillement l'idée du divorce. Nous en discutons, mais savons pas encore quand ça se fera.

J'aimerais que tu me parles de la dédicace du disque. Je connais des gens qui l'ont retranscrite, tellement c'est joli.
En grande partie, ce message s'adresse à Corey parce qu'il m'a beaucoup aidée. Pendant tout l'enregistrement, il m'a fait grandir sur le plan artistique et personnel. Je voulais dire aux gens de rester ouvert aux personnes qui les entourent, de ne pas avoir peur... même si cette attitude ébranle des choses et provoque des remises en question. En bout de ligne, ça vaut toujours le coup.

Le Lundi, 14 janvier 1995, Vol 18 No 51