Je respecte la volonté de Julie

Son agent, Serge Brouillette

En 1990, le Québec avait le coup de foudre pour une jolie et talentueuse blonde de 19 ans, Julie Masse. Une étoile était née. Cinq ans plus tard, elle choisissait l'amour et le rôle de mère, laissant tous ses fans dans l'attente d'un éventuel retour...

En quelques années, Julie Masse a vendu près d'un demi-million d'albums, dont 206 000 exemplaires du premier disque. Elle a rapidement gagné l'amour du grand public C'est pourquoi le décès tragique de son père en 1991, son mariage avec le cinéaste Sylvain Brault en 1993, leur rupture l'année suivante, son histoire d'amour avec le chanteur Corey Hart et la naissance de l'enfant du couple vedette en 1995 ont touché les Québécois. Mais, alors que son nom brillait au firmament, elle a choisi de s'éclipser. Depuis que Corey a conquis son coeur, elle a mis sa carrière en veilleuse. La dernière apparition publique de Julie Masse remonte à l'automne 1995. À la veille de la sortie d'un nouvel album - une compilation de ses grands succès à laquelle s'ajoute Sur les aies du désir, une chanson de Corey Hart avec des paroles de Luc Plamondon - , l'agent personnel et producteur de la chanteuse, Serge Brouillette, relate les grands moments qu'il a vécus auprès de sa protégée.

Serge, vous rappelez-vous la toute première fois que vous avez croisé Julie?
- Bien sûr. Elle avait alors 17 ans et elle chantait dans un bar de Laval avec un groupe. C'est le guitariste du groupe qui m'avait appelé pour me proposer de passer voir le spectacle. Il m'avait dit: «Nous avons deux filles qui chantent avec nous et tu vas avoir des surprises!» Dès que j'ai vu Julie sur la petite scène, j'ai eu la conviction qu'elle «passerait», comme on dit dans le jargon du métier. Je suis allé la voir chanter plusieurs fois. Il m'a fallu attendre trois ans avant qu'elle accepte un premier engagement. Je lui avais alors proposé d'être choriste dans un vidéo de Toyo. Après cette expérience, je suis devenu son agent et nous avons signé un contrat.

La chanson C'est zéro a été le premier grand succès de Julie, n'est-ce pas?
- Absolument. Dès que nous avons mis en marche la production d'un premier album, je suis allé chez l'auteur-compositeur Manuel Tadros avec Julie. Il nous a proposé différentes pièces et C'est zéro nous a simplement renversés. Elle est devenue la chanson fétiche de Julie.

Quels souvenir gardez-vous de ces débuts?
- Je me rappelle la première fois que Julie est entrée dans un studio d'enregistrement. Elle était fascinée. Manuel et Julie étaient venus me retrouver chez moi pour travailler la chanson une dernière fois et, en soirée, nous nous sommes rendus au studio Harmonie de Longueuil pour l'enregistrer. Je revois encore Julie quitter le studio au début de la nuit avec sa cassette dans les mains...

C'était seulement le début d'un grand rêve.
- Oui, puisque c'est avec C'est zéro que tout a démarré. La chanson est sortie sur le marché le 19 mars 1990, et lors du lancement de l'album, le 21 août suivant, sur un bateau dans le Vieux-Port, elle était au sommet du palmarès. Ce jour-là, Julie a également fait ses débuts à la télé. Elle était invitée à la populaire émission de TQS, Garden Party, animée par Michèle Richard et Serge Laprade. Au cours des mois suivants, trois autres chansons ont été extraites de l'album, qui a été distribué en Europe par BMG. Julie a été choisie pour interpréter le pot-pourri des meilleures chansons de l'année au Gala de l'ADISQ et elle a reçu un premier disque d'or comme cadeau de Noël.

Quelles images de cette fulgurante carrière chérissez-vous particulièrement?
- Je n'oublierai jamais le 31 mars 1991, quand Julie a interprété l'hymne national au Colisée de Québec à l'occasion du match d'adieu de Guy Lafleur. Ç'a été un grand moment. Avant la partie de hockey, Guy a remis un disque platine à Julie. Je pense aussi à ce spectacle de tournée à Edmundston, au Nouveau-Brunswick, au cours duquel il s'est mis à pleuvoir à boire debout. Il y avait 10 000 spectateurs, et lorsque Julie a constaté que ceux-ci ne quittaient pas l'enceinte malgré la pluie abondante, elle s'est avancée sur une longue passerelle devant la scène - cette partie n'était pas recouverte comme la scène principale - et elle leur a dit: «Vous êtes sous la pluie, eh bien, moi aussi!» Julie a donné un show inoubliable et la foule a été conquise. Enfin, le grand moment par excellence demeure le Gala de l'ADISQ 1991 au cours duquel elle a remporté trois Félix. Julie Snyder et Pierre Péladeau lui ont remis le trophée de l'Artiste féminine de l'année et, avant d'ouvrir l'enveloppe, Julie Snyder avait demandé à Pierre Péladeau: «Allez-vous donner la première page du Journal de Montréal à la gagnante demain matin?» et Péladeau avait répondu: «Oui». Cette nuit-là, nous avons fêté jusqu'au petit matin pour voir la une: Julie y était. C'était magique!

Comment Julie a-t-elle réagi devant le succès?
- Elle en a toujours été très fière, tout en restant humble. Un jour qu'elle se trouvait au magasin d'appareils électroniques de son père, à Longueuil, elle a tout bonnement décidé d'aller se faire couper les cheveux chez le coiffeur du centre commercial. Quelques minutes plus tard, elle m'a appelé et m'a dit, incrédule: "Serge, il y a 200 personnes qui me regardent me faire couper les cheveux. Qu'est-ce que je fais?" Nous avons bien ri. Julie a toujours été respectueuse et disponible pour ses fans, alors ceux-ci se sont toujours montrés très droits avec elle.

LES ÉPREUVES

Avec le succès vient la vie publique. Lorsque M. Masse, le père de Julie, a perdu la vie dans un accident d'avion le 24 juin 1991, comment avez-vous réagi?
- Ce matin-là, ma petite soeur Isabelle, mon bras droit aux Disques Victoire, m'a réveillé tôt en m'annonçant la mauvaise nouvelle. Une heure plus tard, le téléphone ne dérougissait plus. Julie était alors en vacances sur un bateau aux États-Unis avec son copain, Sylvain Brault. Nous ne pouvions pas la joindre. Heureusement, comme c'était l'anniversaire du père de Sylvain, nous savions qu'ils allaient se manifester chez les Brault dans la journée. Bien sûr, Julie a été terrassée par la nouvelle. À son retour de vacances, nous devions partir pour une première grande tournée de spectacles. Quelques jours après les funérailles, je lui ai dit: «Dis-moi quand tu crois être prête pour reprendre le travail. D'ici là, je vais annuler les shows.» Mais elle a choisi de respecter ses engagements. «Chanter va m'aider», disait-elle. Elle a tout donné durant cette tournée.

Et deux ans plus tard, le 24 juillet 1993, Julie épousait Sylvain Brault...
- Je me réjouissais de savoir que Julie n'était plus seule. Le couple désirait que le mariage se déroule dans l'intimité, mais nous avons finalement convenu qu'il poserait pour les caméras à sa sortie du Palais de justice. Toute la presse était là. Julie a toujours voulu protéger sa vie privée. Cette réserve est naturelle chez elle. D'ailleurs, quand il le fallait, nous mettions la pédale douce sur la promotion. C'est pourquoi, après la promotion du deuxième album, À contre-jour, il y a eu une pause de plusieurs mois dans sa carrière. Elle tenait à passer plus de temps avec les siens et à vivre normalement. Peu avant cet arrêt, Julie a remporté le Juno de l'artiste la plus prometteuse au Canada, et c'est à partir de ce moment que nous avons envisagé la production d'un album anglophone.

C'est alors que Corey Hart est intervenu dans la carrière de Julie?
- J'ai rencontré Corey le jour où Julie a décroché le Juno. Nous avions échangé durant les répétitions, et je lui avais proposé d'offrir des chansons à Julie. Le mois suivant, un membre de son entourage a pris contact avec moi, et Corey nous a fixé un rendez-vous. Il nous a présenté plusieurs chansons et la collaboration s'est amorcée. Je suis devenu le producteur de l'album Circle of One, tandis que Corey en a été le principal réalisateur.

UNE NOUVELLE VIE

À quel moment avez-vous constaté que la relation entre Corey et Julie se transformait?
- Je l'ai vu dans leurs yeux... J'ai vu ça grandir... Et même si je pouvais comprendre que Julie et Corey savaient que je n'étais pas dupe, je n'ai rien dit. Il existe un grand respect entre Julie et moi, et j'ai préféré attendre qu'elle m'en parle elle-même avant d'aborder le sujet. Quand elle m'a fait part de son bonheur nouveau, je lui ai fait remarquer: "Julie, c'est ta vie, c'est ton coeur. Écoute-le. Tu sais, je peux diriger ta carrière, mais je n'ai pas de place dans tes choix personnels." Elle avait droit à toute ma confiance.

Aujourd'hui, Julie est également une mère de famille. A-t-elle beaucoup changé?
- Julie est plus mûre que jamais. Elle sait ce qu'elle veut et elle protège son bonheur. La petite India a eu un an le 8 juillet dernier et c'est une belle «poupoune»! Comment pourrait-il en être autrement avec des parents comme Julie et Corey...

Vous nous avez confié que Julie n'accordera pas d'entrevues pour la sortie de l'album-compilation. A-t-elle renoncé à sa carrière?
- Elle n'a pas renoncé à sa carrière, mais elle a fait un choix de vie qu'elle assume pleinement. À 25 ans, amoureuse et sûre d'elle, elle s'est dit: "Je veux un enfant, une vie de famille heureuse" et pour ce faire, elle a décidé d'être auprès de l'homme qu'elle aime. Moi, tout ce que j'y vois, c'est un beau choix, une belle évolution. Lorsqu'elle m'a assuré que sa décision était pesée, j'ai tout simplement revu mon plan de carrière. Je travaille avec des êtres humains et je sais pertinemment que les sentiments jouent un rôle important dans mon parcours. Je respecte la volonté de Julie. Bien sûr elle manque au public et celui-ci peut avoir de la difficulté à comprendre sa motivation. Le métier de chanteuse est convoité, surtout lorsqu'il rime avec succès. Je suis le premier a m'ennuyer de Julie. Je ne la vois plus aussi souvent qu'auparavant. Lorsque nous nous sommes retrouvés pour l'enregistrement de la chanson Sur les ailes du désir au Studio Vincent, à Montréal, au mois de juin dernier, nous nous sommes serrés très fort. Julie est comme une soeur pour moi. Je l'aime beaucoup.

Comment était-elle?
- Belle et sereine. En l'apercevant, ma première question a été: «Es-tu heureuse?» et elle m'a répondu: «Oui, Serge, je suis très heureuse.» J'étais content pour elle à mon tour. Je m'occupe aujourd'hui de la carrière de Sylvain Cossette qui lance également un nouvel album ces jours-ci, et je prépare la carrière d'une nouvelle chanteuse. Une fille extraordinaire que Julie connaît bien d'ailleurs. Des musiciens de Céline Dion travaillent sur son album qui sortira prochainement.

Reverrons-nous Julie sous les feux de la rampe un jour?
- Pourquoi pas? Personne ne peut affirmer que Julie ne chantera plus. Je lui ai répété à quelques reprises: «Notre entente est sur les tablettes. Dès que tu veux redémarrer c'est parti!» Si elle relance sa carrière à 30 ou à 35 ans, elle ne sera que plus forte encore. D'ailleurs, lorsque les gens entendront Sur les ailes du désir, ils ne pourront que ressentir cette maturité et cette assurance nouvelles dans la voix de Julie, qui grandit en beauté..

Le Lundi, 14 septembre 1996, Vol 20 No 34