Quand on sait à quel point la vie d'artiste ne correspond pas à la personnalité de Natasha, on n'est pas surpris d'apprendre que, enfant, elle ne rêvait pas de devenir chanteuse. "Je chantais à tous les festivals que je pouvais dénicher, mais c'était un passe-temps." Un passe-temps devenu une grande passion...
La scène se déroule il y a quelques semaines. L'avion de Natasha St-Pier, qui se dirige vers Bathurst, fait escale à Saint-Léonard. La chanteuse ouvre grand les yeux. Dehors, le feuillage des arbres lui semble plus vert que vert, et le ciel, plus bleu que bleu. "Ce n'est pas parce qu'il s'agit de ma province, mais vraiment le Nouveaux-Brunswick ne m'avait jamais semblé aussi beau que lors de ma dernière visite."
La jeune chanteuse a grandi à Edmunston, mais son père et sa mère viennent de réemménager à Bathurst, la ville qui l'a vue naître. Elle a profité de son séjour dans cette ville pour ne rien faire. En fait, elle commence par dire qu'elle n'a rien fait, puis on apprend qu'elle a pratiqué plus de sports cet été qu'en une année entière! Elle s'est adonnée à des activités nautiques avec son frère, à de longues marches sur la plage avec sa mère. et à des tête-à-tête auprès du barbecue avec son père. "Ça, c'est moins sportif, mais ce sont nos moments d'intimité", avoue-t-elle. Elle s'est permis de longs bains de mer en famille. Revoir tout son monde, c'est du sport!
Elle nous revient toute bronzée, avec les cheveux longs et une image qu'on ne lui connaissait pas. "En général, les filles aiment bien changer de look, et je fais partie de celles qui adorent ça. Mais, pour aider mon public à me reconnaître, il valait mieux que je garde la même tête pendant un certain temps. C'est la première fois que j'ai le feu vert de mon équipe de management, et c'est très significatif pour moi. C'est une étape de franchie!"
Depuis qu'elle a eu le feu vert, elle arbore des cheveux blond-roux, mais surtout, elle fait montre d'une assurance accrue. "Je peux être moi-même, mon public me suit. Cela me touche beaucoup." Contraignante, la vie d'artiste? Absolument pas! Plutôt excitante, même si les obligations d'une chanteuse de réputation internationale donnent lieu à un mode de vie opposé à la personnalité de mademoiselle St-Pier . Oh yes?
Si elle n'était pas chanteuse, Natasha pourrait facilement travailler dans un laboratoire. Son sarrau serait immaculé et toutes ses éprouvettes seraient impeccablement rangées. "Chez moi, les serviettes sont toutes pliées dans le même sens. Dans mon garde-robe, mes vêtements sont groupés par couleur et par longueur. Dans mon salon, mes CD sont classés par ordre alphabétique. Je ne suis pas artiste de nature. Je suis plutôt logique et terre à terre. Je mange à des heures régulières. Je me couche à des heures régulières. À part le chant, je ne maîtrise pas vraiment les arts. La vie d'artiste, c'est la seule frivolité que je m'offre. En dehors de mes tournées, mon horaire est hyper-régulier. J'aimerais bien être capable de supporter davantage le désordre et la spontanéité. C'est à cause de mon travail que je dois composer avec une baisse de stabilité dans ma vie. Une semaine, je fais de la promotion et je dois me lever tôt; la semaine suivante, je suis en spectacle et je dois me coucher tard. Je participe à des fêtes et je rencontre beaucoup de gens. Il est clair que, si je ne pratiquais pas ce métier, ma vie ne ressemblerait en rien à ce qu'elle est maintenant."
Natasha a dû faire de grands efforts pour remodeler sa personnalité. Plus d'une fois, sa nature timide lui a valu d'être jugée comme une fille froide et distante: "Je n'avais pas l'habitude d'aller vers les gens. J'attendais qu'ils viennent vers mois. À force de m'entendre dire que je passais pour une snob, je me suis forcée à changer. Heureusement, mon équipe ne me surprotège pas. Mes parents ne l'ont pas fait non plus. Chez nous, autour de la table, nous disions les vraies choses. Nous n'avions pas à mettre des gants blancs jusqu'au coude. Je suis donc capable de me faire dire mes quatre vérités et de me corriger. J'ai un peu de difficulté à supporter les princesses, celles à qui on dit qu'elles sont parfaites et qui ont la naïveté d'y croire. J'aurai 22 ans en février. Tout n'est pas parfait, j'ai encore beaucoup de choses à améliorer, mais je peux affirmer que j'en ai fait, du chemin!"
Parlant de chemin, Natasha prend la route plus souvent qu'à son tour. Elle a fait l'Olympia de Paris toute seule, comme une grande, les 17 et 18 septembre dernier. Maintenant, c'est une tournée de spectacles en France qui l'attend, donc les bagages à faire et à défaire, l'étranger, la vie d'hôtel... Dans l'esprit de Natasha, cela se résume en un mot: l'éloignement. Elle repense à Londres, cette ville de pluie, où elle s'est produite à l'Opéra de Victor Hugo. "C'est peut-être parce que je n'avais que 19 ans, mais je n'ai pas su apprécier les aspects culturels que cette ville offrait. Heureusement, des gens comme Garou, Daniel Lavoie et Sylvain Cossette m'ont vraiment consacré beaucoup d'attention. De tous les gens que je connais sur terre, Sylvain est la personne qui a le plus grand coeur. Je me souviens d'un soir où j'étais si triste que je pleurais entre mes chansons. C'est lui qui m'a consolée. Quand je m'ennuyais, il venait me chercher; il s'occupait de moi. Sa femme et ses filles sont aussi extraordinaires que lui. Je suis vraiment chanceuse qu'ils fassent partie de ma vie."
Lorsqu'elle était petite, Natasha n'a jamais rêvé devenir chanteuse. Chanter était pour elle un simple passe-temps. L'histoire est connue. Alors qu'elle avait 14 ans, deux hommes sont venus lui parler après sa prestation à un festival, à Saint-Jean-sur-le-Richelieu. Ensemble, ils ont mis sur le marché un album, Émergences, dont les chansons ont été diffusées par les grandes radios commerciales. Leur association a duré moins de deux ans et s'est terminée entre les mains d'un avocat. "Guy Cloutier m'a prise sous son aile. C'est vraiment à partir de Notre Dame de Paris que j'ai compris que chanter était ma passion et que ça allait devenir mon métier. C'est comme si je ne m'étais réveillée soudainement en réalisant que je me voyais vraiment pas faire autre chose!"
On l'a comparée à la grande Céline Dion plus d'une fois. La principale intéressée met quelques bémols. "Je ne la connais pas personnellement et je ne veux pas parler à travers mon chapeau, mais je crois qu'elle met tout en oeuvre pour être la numéro un. J'ai envie d'être bonne moi aussi mais, si je suis heureuse dans ma vie, le fait de ne pas être la meilleure ne m'attristera pas."
Natasha croit en l'engagement et au don de soi. "L'encadrement que mes parents nous ont donné, à mon frère et à moi, me fait croire que, quand on fait son possible pour ses enfants, et ce, avec amour, on les arme et on les aide énormément."
Elle croit que rien n'arrive pour rien et qu'il y a une leçon à tirer de tous les événements qui arrivent dans sa vie. Elle est persuadée que chaque personne a la force d'affronter ce qui lui est réservé. C'est une fille qui n'a pas peur de mettre la main à la pâte. Elle s'efforce de suivre l'actualité, tente d'apprendre la cuisine, fait des efforts pour se tenir en forme et se traîne au gymnase... "C'est facile de se laisser aller", affirme-t-elle. Elle se sent forte et admet que son éducation lui a donné les outils qu'il faut pour se tenir debout et affronter les difficultés. "Si mes parents m'avaient gâtée à l'excès, j'aurais bien du mal à évoluer dans le milieu où je vis aujourd'hui."
La chose la plus facile à oublier au sujet de Natasha, c'est qu'elle n'a que 21 ans! Dernièrement, on l'a vue en entrevue, à la télé, se faire rappeler qu'elle avait dit vouloir "deux enfants avant l'âge de 35 ans".
"Vous les voulez toujours?" lui a demandé l'animateur. Elle a regardé son interlocuteur avec la plus grande gentillesse du monde. Il faut dire qu'on lui pose ce genre de question depuis longtemps. Normalement, on conseille aux jeunes de s'amuser et de prendre leur temps avant de faire leurs choix. Dans le cas de Natasha, on la presse de s'exprimer au sujet de sa carrière, de ses choix de vie, du couple qu'elle forme avec Sébastien Benoit, de l'appartement où elle vit à Outremont, de la maison qu'elle aimerait avoir, du nombre d'enfants qu'elle voudrait, du gros chien qu'elle aura... "C'est vrai que les gens oublient mon âge. On dirait parfois qu'on s'attend à ce que j'aie des réponses à tout. Quand je suis venue m'installer à Montréal, je ne savais même pas ce que ça signifiait d'habiter un appartement, d'avoir un voisin qui marche sur notre tête... Je ne savais pas que je me sentirais à l'étroit. Chez moi, à Edmunston, je n'ai connu que l'espace: un acre de terrain de jeu, une forêt, un immense balcon arrière, une maison de deux étages... Quand j'étais petite, mon père nous a fabriqué un carré de sable. Il a dû faire venir deux remorques pour le remplir! Là où j'habite présentement, je ne sais même pas où je placerais une petite piscine Turtle!"
La campagne lui manque visiblement, mais la ville lui plaît autant. Peut-être est-ce normal quand on mène une carrière comme la sienne et qu'on sort avec un chum citadin... "Une maison de banlieue vous donnerait tout de même un peu plus d'espace et un sentiment bien différent, non?" Natasha me regarde avec gentillesse et me répond poliment: "Je me trouve un peu jeune pour gérer les responsabilités d'une maison de banlieue." Décidément, son jeune âge est vraiment la chose la plus facile à oublier!
Le Lundi, Vol 26 No 34, 19 octobre 2002